L'agriculture urbaine, pilier de systèmes alimentaires durables et de l'autonomisation économique des femmes au Kenya
La population africaine devrait doubler d'ici 2050, et plus de 80 % de cette augmentation se produira dans les villes, ce qui entraînera une hausse de la demande alimentaire dans les zones urbaines. L'urbanisation a transformé les systèmes alimentaires en modifiant les tendances de la demande alimentaire et en redéfinissant les préférences des consommateurs, ce qui a affecté le mode, le lieu et le type de production, d'approvisionnement et de consommation des denrées alimentaires. En outre, les zones urbaines et périurbaines d'Afrique risquent de subir de façon beaucoup plus importante les effets du changement climatique, car ces régions se réchauffent 1,5 fois plus vite que la moyenne mondiale. Les besoins croissants en services de base tels que l'eau potable, le logement, les services de santé et une alimentation nutritive sont préoccupants.
Le recours à l'agriculture urbaine est inévitable pour relever le défi de l'insécurité alimentaire dans les zones urbaines d'Afrique. Le cocktail Molotov constitué par la croissance démographique rapide, l'urbanisation et le changement climatique met de plus en plus en péril la sécurité alimentaire. La croissance démographique urbaine de ces dernières années a entraîné une hausse des besoins alimentaires. En 2050, la demande alimentaire devrait être multipliée par 2,5 en Afrique subsaharienne par rapport à son niveau de 2010. Selon l'IFPRI, la demande en viande, en céréales, en fruits et en légumes sur le continent devrait plus que tripler d'ici 2050. Cette conséquence est liée à l'augmentation attendue du niveau de vie et de la richesse des populations, principalement dans les zones urbaines. Par ailleurs, les espaces de consommation urbains offrent un plus grand choix de produits alimentaires, parmi lesquels des aliments malsains et transformés contenant des quantités excessives de sucre, de sel et de matières grasses, disponibles à moindre coût. Si les classes moyennes et supérieures ont divers choix d'aliments nutritifs, les ménages urbains plus pauvres ont tendance à privilégier l'aspect subsistance à l'aspect nutritionnel, optant généralement pour des denrées alimentaires abordables et pas nécessairement nutritives. Ces besoins alimentaires croissants et l'évolution des habitudes de consommation entraînent l'augmentation des importations nettes de denrées alimentaires en Afrique, qui devraient passer de 35 milliards de dollars en 2015 à plus de 110 milliards de dollars d'ici 2025.
Il est possible de contrebalancer ces coûts d'importation élevés en augmentant la production alimentaire sur le continent. L'agriculture urbaine a le potentiel de diversifier l'économie, d'accroître la sécurité alimentaire et d'améliorer la qualité nutritionnelle des aliments. Elle offre également des possibilités d'adaptation au climat en réduisant la dépendance vis-à-vis du transport des produits agricoles sur de longues distances et en employant des techniques de culture économes en ressources telles que la culture verticale et l'hydroponie, ou encore le compostage des déchets urbains organiques. Ces pratiques permettent de réduire les émissions de carbone, d'optimiser l'utilisation de l'espace et de l'eau, et d'accroître la résilience face à des ressources limitées et à l'évolution des conditions climatiques. Puisque les engrais biologiques proviennent du recyclage des déchets organiques et des ressources naturelles (plantes, microbes ou insectes tels que la mouche soldat noire), les agriculteurs ont moins recours aux pesticides synthétiques produits par des processus énergivores et qui génèrent d'importantes émissions de gaz à effet de serre. Il en résulte une chaîne de production alimentaire durable et nutritive pour les citadins, avec une production croissante de fruits et légumes tels que le chou, la laitue, les tomates, les piments et les oignons.
Les femmes africaines jouent un rôle central dans la sécurité alimentaire des ménages ruraux et urbains. Dans les zones urbaines en particulier, les femmes sont de plus en plus soucieuses de promouvoir une alimentation saine et variée tant pour elles que pour leurs familles. Elles participent souvent à des initiatives d'agriculture urbaine et de jardinage communautaire, optimisant les petits espaces domestiques pour la culture de légumes et d'herbes aromatiques. Au Kenya, un puissant mouvement est en train de prendre racine, de transformer le paysage agricole et de favoriser l'émancipation économique des femmes.
L'agriculture urbaine s'est imposée comme un élément clé des systèmes alimentaires durables, non seulement parce qu'elle alimente les villes en produits frais et nourrissants, mais également parce qu'elle constitue une solution incontestable aux défis de la sécurité alimentaire, du changement climatique et des inégalités de genre. Intellecap, dans le cadre de son projet « Réorienter le secteur privé : solutions agricoles intelligentes du point de vue climatique afin de lutter contre les inégalités sexospécifiques » soutenu par le CRDI, collabore avec 10 entreprises agricoles du secteur privé (ESP) (qui ont des modèles d'entreprise innovants pour lutter contre l'impact du changement climatique) dans le but de développer leurs activités à l'aide d'approches novatrices en matière d'égalité entre les sexes.
Griincom Innovate Limited est l'une des entreprises de services publics au Kenya que le projet soutient actuellement. Griincom Innovate Limited est situé dans le comté de Nakuru. Le modèle économique de l'entreprise consiste à recycler les déchets organiques pour en faire des engrais, des pesticides et des fertilisants biologiques, ainsi qu'à former les petits exploitants agricoles à des méthodes agricoles efficaces. Les fertilisants foliaires sont appliqués sur les feuilles ou utilisés dans les systèmes de goutte-à-goutte pour améliorer les performances des plantes. Les pesticides biologiques sont obtenus en faisant fermenter un mélange d'extraits de plantes (provenant de cultures sélectionnées et de plantes indigènes) et d'urine de lapin. Les pesticides sont utilisés pour lutter contre les vers gris, les pucerons, les chenilles des choux, les vers de l'armée d'automne, les foreurs de tiges, etc.)
Le modèle d'entreprise de Griincom contribue énormément à développer l'agriculture urbaine dans le comté de Nakuru (une région du Kenya où vivent à la fois des citadins, des périurbains et des ruraux). Premièrement, Griincom collabore avec les citadins et le gouvernement du comté pour récupérer les déchets ménagers et les déchets organiques des marchés. Griincom encourage les citadins à trier leurs déchets ménagers et à séparer les déchets organiques des déchets non organiques, de façon à composter les déchets organiques pour les utiliser directement dans leurs jardins ou les vendre à Griincom. Le gouvernement du comté, d'autre part, agit en tant que collaborateur, en fournissant un environnement favorable par le biais d'un cadre politique et en permettant l'accès aux déchets organiques produits par les commerçants sur les marchés relevant de leur juridiction, que Griincom prélève ensuite pour le compostage commercial.
Dans un deuxième temps, Griincom forme les citadins à la création de jardins potagers. Par exemple, grâce à des démonstrations, l'entreprise a appris aux femmes à se servir de matériaux tels que des pneus, des pots de fleurs, des bidons et des filets pour créer des fermes urbaines dans leurs cuisines, leurs vérandas et leurs arrière-cours. Troisièmement, par le biais de formations, Griincom montre aux agriculteurs urbains comment utiliser leurs déchets ménagers comme engrais biologiques pour leurs petits potagers. Enfin, les produits de Griincom sont disponibles en petites et grandes quantités dans le comté. Les agriculteurs urbains possédant de petits jardins peuvent donc facilement s'en procurer.
Griincom, un succès pour les chaînes de valeur inclusives
Les produits de Griincom ont grandement contribué à l'autonomisation économique des femmes dans le comté de Nakuru, améliorant ainsi leurs moyens de subsistance. Tout d'abord, Griincom encourage les femmes, principales travailleuses à domicile, à trier leurs déchets de cuisine en déchets organiques et inorganiques, puis leur rachète les déchets organiques contre une petite somme d'argent. Lorsque les restes alimentaires finissent dans les décharges, l'éthane génère du méthane, un gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO2. Ainsi, en triant les déchets organiques à la source, le volume global des déchets mis en décharge est réduit, ce qui diminue les émissions de gaz à effet de serre.
Deuxièmement, Griincom apprend aux femmes à composter les déchets de cuisine pour en faire des engrais biologiques pouvant être utilisés dans leurs jardins, ce qui permet d'augmenter la production alimentaire. Faire participer les femmes à la valorisation des déchets ménagers pour en faire des engrais organiques les rend aptes à apporter une contribution financière à leur foyer et à leur communauté, ainsi qu'à l'économie circulaire. Troisièmement, Griincom collabore avec des agricultrices qui élèvent des animaux tels que des lapins et des poulets pour leur subsistance, ainsi qu'avec des groupements organisés d'agricultrices. Griincom apprend aux femmes à rassembler leurs déchets animaux, qui seront ensuite achetés comme matière première pour la fabrication des produits biologiques de Griincom.
Ces trois dernières années, Griincom a formé plus de 200 agricultrices du comté de Nakuru à la gestion des déchets ménagers et du bétail, au compostage et aux pratiques agricoles écologiques. Ces formations ont permis aux agricultrices d'acquérir de nouvelles compétences et connaissances, de gagner en productivité, de réduire leur dépendance à l'égard d'engrais et de pesticides synthétiques coûteux, de diversifier leurs sources de revenus et pour la plupart d'entre elles, de se lancer dans la production commerciale.
Griincom, acteur du changement pour une économie durable
Récemment, Griincom a participé à l'exposition agricole nationale 2023 de Nakuru, dont le thème était « Promouvoir une agriculture intelligente sur le plan climatique et des initiatives commerciales pour une croissance économique durable ». Lors de l'événement, l'équipe de Griincom a démontré comment de petites parcelles de terre peuvent être optimisées pour la production alimentaire et a mis en évidence le grand écart de rendement entre les cultures utilisant des engrais biologiques et celles utilisant des engrais chimiques. D'après les données de terrain fournies par Mildred Gachoka Day, PDG de Griincom, les clients de Griincom ont enregistré une augmentation de 40 % de leur production après la deuxième application d'engrais biologiques et de 50 % après la troisième, contrairement à ceux qui utilisaient des engrais non biologiques. L'utilisation d'intrants biologiques a également permis de réduire de plus de 50 % les coûts de gestion des cultures et de replantation des clients de Griincom. Ces résultats montrent l'énorme potentiel d'intensification de la production alimentaire durable sur le continent. Grâce à sa participation à des événements tels que le Salon de l'agriculture de Nakuru, Griincom parvient à toucher tant les petits exploitants ruraux que les producteurs urbains de denrées alimentaires, y compris les secteurs privé, public et du développement, afin de soutenir des innovations intelligentes sur le plan climatique dans la région.
En conclusion, l'agriculture urbaine est une formidable opportunité d'atteindre l'équilibre indispensable entre la gestion de l'environnement, la satisfaction de la demande croissante de vivres et l'autonomisation des femmes dans le cadre d'une production alimentaire durable. Il est essentiel que les acteurs du système alimentaire jouent un rôle majeur dans l'adoption de l'agriculture urbaine par le biais de l'innovation, de la sensibilisation et du renforcement des capacités.
C'est dans cette optique qu'Intellecap apporte une assistance technique à Griincom et à d'autres entreprises similaires du secteur privé. L'objectif est d'améliorer leur modèle d'entreprise et d'atteindre un plus grand nombre de femmes dans le système alimentaire, de mettre en œuvre des approches marketing adaptées et d'identifier de nouvelles opportunités, essentielles à la création de communautés plus résilientes et plus prospères. Les gouvernements africains, les décideurs politiques, les donateurs et les autres parties prenantes doivent également se joindre à la course pour accélérer l'adoption de l'agriculture urbaine. Cela passe par l'élaboration de politiques, la sensibilisation grâce à des plateformes telles que le Salon national de l'agriculture de Nakuru et la mobilisation d'investissements pour l'adoption de pratiques agricoles durables.