Le rôle des entreprises agricoles vertes dans l'autonomisation des femmes
Experts from Le projet GLOW d'Intellecap présente les progrès réalisés dans la réorientation du secteur privé vers l'autonomisation des femmes dans le cadre de solutions agricoles adaptées au climat en Afrique de l'Est.
Le changement climatique reste une préoccupation majeure à l'échelle mondiale. Les effets du changement climatique se font ressentir en Afrique de l'Est par des températures en hausse, des conditions météorologiques instables, une modification des limites des agroécosystèmes, des cultures et des ravageurs envahissants ainsi que des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents. Dans les champs, le changement climatique entraîne une baisse du rendement des cultures, de la qualité nutritionnelle des principales céréales et du bétail. Face à cette menace, une approche intégrée de la gestion des espaces naturels — terres cultivées, bétail, forêts et zones de pêche — a été préconisée dans le but de renforcer la sécurité alimentaire. L'Afrique de l'Est est l'une des régions les plus vulnérables au changement climatique en raison de ses importantes difficultés de développement La résilience et les mécanismes d'adaptation en Afrique de l'Est restent limités, en raison de facteurs structurels qui restreignent les capacités de la région à faire face aux crises et à les surmonter. La forte dépendance des populations à l'égard de l'agriculture pluviale accroît la vulnérabilité humanitaire, sociale et macroéconomique face à la hausse des températures et aux chocs météorologiques extrêmes. Les couches les plus pauvres de la population, qui connaît une croissance rapide dans la région, sont les plus touchées.
Le développement d'entreprises adaptées au climat dans une optique d'égalité des sexes contribuerait à la transition des pays d'Afrique de l'Est vers une économie bas carbone grâce à l'autonomisation économique des femmes. Les innovations et les entreprises utilisant des pratiques agricoles adaptées au climat peuvent jouer un rôle crucial dans l'amélioration de la sécurité alimentaire de la région. Pour cette raison, il est impératif de les soutenir dans leurs efforts de développement. En outre, compte tenu du rôle capital des femmes dans l'écosystème des systèmes alimentaires de la région - en tant que productrices, ouvrières agricoles, transformatrices et commerçantes - il est essentiel que ces entreprises intègrent la dimension de genre dans la conception de leurs activités et contribuent à faire avancer la question de l'égalité des genres. Cela est d'autant plus important que les femmes travaillant dans l'agriculture sont souvent plus affectées que les hommes par le changement climatique.
On estime que les femmes représentent 50 % de la main-d'œuvre agricole en Afrique de l'Est. Les inégalités de genre existent dans la filière agricole et sont accentuées par le changement climatique. Les femmes qui exploitent de petites exploitations agricoles sont plus vulnérables que les hommes aux chocs climatiques et aux facteurs de stress, car elles sont généralement plus dépendantes de l'agriculture et des ressources naturelles et ont des moyens de subsistance moins diversifiés.
Les inégalités structurelles entre les sexes empêchent les femmes de réagir, de s'adapter ou d'atténuer les effets du changement climatique. Les femmes ont généralement des biens moins nombreux et de moindre valeur, ainsi qu'un accès plus limité à la terre, au capital, à la main-d'œuvre, aux intrants agricoles et aux réseaux sociaux et institutionnels. Les femmes ont difficilement accès aux technologies climato-intelligentes et les utilisent peu, en raison des normes sociales et des rôles stéréotypés qui limitent leur action, tant au niveau du foyer qu'au niveau de la communauté. Elles disposent donc de moins de temps pour rechercher d'autres sources de revenus, car elles sont condamnées à effectuer des tâches pénibles en tant que travailleuses non rémunérées dans les champs et au sein de leur foyer. Par conséquent, elles sont confrontées à des difficultés telles qu'un pouvoir de décision limité, une propriété et un contrôle négligeables de la terre et d'autres ressources productives, ainsi que le manque de temps et une mobilité réduite.
Il est dans l'intérêt des entreprises d'adopter une approche soucieuse du genre dans leurs activités. Les approches commerciales intégrant la dimension de genre peuvent non seulement avoir un impact positif sur les femmes travaillant dans le secteur, mais également offrir un potentiel important de croissance aux entreprises agricoles respectueuses du climat. Il est prouvé que les entreprises qui intègrent des femmes dans leurs activités ont de meilleurs résultats et des rendements plus élevés, innovent davantage, prennent de meilleures décisions, ont une plus grande réactivité et une meilleure fidélisation de la clientèle, et sont également en mesure d'attirer les clients en fonction de leur sexe.
Intellecap a lancé un programme pilote, « Business Acceleration through gender mainstreaming », qui vise à aider les entreprises agricoles climato-intelligentes au Kenya, au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda à se développer tout en intégrant la dimension de genre dans leurs activités. Ce programme fait partie du programme plus large « Réorienter le secteur privé pour permettre des solutions agricoles climato-intelligentes afin de lutter contre les inégalités de genre », soutenu par le Centre de recherche pour le développement international (CRDI). Le programme pilote a déjà sélectionné deux entreprises au Kenya et en Tanzanie dont les activités se situent à la croisée de l'agriculture durable et du changement climatique. Le programme pilote pour chaque entreprise s'étend sur une période de 12 mois, divisée en deux phases. Les six premiers mois sont consacrés à la fourniture d'une assistance technique personnalisée et au renforcement des capacités par le biais d'une formation et d'un accompagnement commercial et d'intégration de la dimension de genre. La deuxième phase comprend une évaluation de l'impact et un processus visant à aider les entreprises à institutionnaliser davantage l'intégration de la dimension de genre et à en suivre l'évolution au fur et à mesure que les activités se développent.
La première phase
L'agriculture est l'un des secteurs les plus importants de l'activité économique en Afrique de l'Est, avec une contribution de plus de 68 % en Tanzanie et de plus de 40 % au Kenya. Les bonnes pratiques agricoles, telles que l'utilisation de semences et de matériel de plantation de qualité, améliorés et résistants, l'analyse des sols, les techniques de préparation et la bonne conservation des sols, l'utilisation sûre et efficace des produits phytosanitaires, l'utilisation efficace de l'eau et la gestion des pertes après récolte, sont essentielles pour atténuer les effets du changement climatique et s'y adapter. Une mauvaise mise en œuvre de ces mesures entraîne des pertes d'efficacité croissantes dans l'utilisation des intrants. Il en résulte une augmentation des coûts de production, une baisse des rendements et une réduction globale des revenus en raison des rendements inférieurs et de l'augmentation des coûts de production.
Alaska Tanzania et Aquarech Ltd au Kenya, deux entreprises soutenues par le programme, aident les communautés agricoles à s'adapter au changement climatique..
Alaska Tanzania s'efforce d'aider les agricultrices à améliorer leur productivité. La Tanzanie est le premier producteur de riz en Afrique de l'Est et le quatrième en termes de superficie. Il est prouvé que les conséquences négatives du changement climatique, l'utilisation inadéquate de pratiques agricoles régénératrices, les variétés de riz à faible rendement, les ravageurs et les maladies, ainsi que les dynamiques liées au genre sont autant de facteurs qui expliquent les rendements insuffisants. Alors que plus de 68 % des femmes tanzaniennes travaillent dans l'agriculture, elles n'ont qu'un accès et un contrôle limités sur les ressources productives telles que la terre et le capital. En Tanzanie, environ 8 % des femmes acquièrent des terres de manière indépendante. En outre, seuls les hommes héritent des terres. Cela signifie que la plupart des femmes ne peuvent cultiver que les terres de leur conjoint ou louer des terres. Les femmes ont donc un accès limité au financement, aux outils agricoles modernes et à d'autres ressources GAP telles que les semences et les engrais.
Alaska Tanzania s'approvisionne en riz auprès de 65 petits exploitants agricoles, dont 65 % sont des femmes. Le riz est nettoyé, trié et emballé, puis vendu aux clients via différents canaux de distribution. Les clients sont les magasins de détail, les hôtels et les restaurants, les vendeuses de rue et des institutions telles que les hôpitaux et les écoles. Alaska Tanzania forme les agriculteurs aux bonnes pratiques agricoles, aux stratégies d'adaptation aux changement climatique telles que la conservation de l'eau et l'utilisation efficace des intrants, ce qui permet de limiter le coût des intrants. À ce jour, Alaska Tanzania a soutenu 8 000 producteurs de riz par des formations sur les bonnes pratiques agricoles, les pertes post-récolte et les mesures adaptées au climat. En outre, l'entreprise aide les agriculteurs à accéder à des intrants de haute qualité et à des financements. Côté client, Alaska Tanzania forme les micro-entreprises, qui font partie de sa clientèle, à la gestion d'entreprise, afin d'améliorer et de développer leurs activités. Les propriétaires d'entreprises sont responsabilisés et acquièrent des connaissances sur la gestion d'entreprise, ce qui leur permet d'améliorer la gestion de leurs revenus et de faire face au changement climatique. Outre les interventions mentionnées précédemment, Alaska Tanzania s'est illustré en tant que chef de file de l'intégration de la dimension de genre dans l'agriculture par le biais de son programme Mama Lishe, qui permet aux femmes participant au programme d'accéder à des subventions. Grâce à ce programme, Alaska Tanzania responsabilise les vendeurs de restauration de rue en les formant à des méthodes efficaces de gestion de leurs activités.
Au Kenya, Aquarech s'efforce de réduire les vulnérabilités des commerçantes de poisson et de renforcer l'autonomie économique des piscicultrices. Le secteur de la pêche au Kenya est déjà affecté par la surpêche, la destruction de l'habitat et une mauvaise gouvernance due à des politiques inadaptées et à une énorme demande alimentaire de la part d'une population en croissance rapide. Ces différents facteurs ainsi que les effets directs et indirects du changement climatique entraînent la perte potentielle d'environ 40 % de la croissance du secteur de l'aquaculture.
Le secteur est confronté à l'augmentation des températures de la mer et à la montée du niveau des eaux, qui affectent les schémas de reproduction des poissons et réduisent leur population, ce qui perturbe le secteur de la pêche dans la région. Les changements dans les écosystèmes marins ont entraîné le déplacement des poissons du rivage vers des eaux plus profondes, ce qui rend la pêche de subsistance plus risquée pour les petits pêcheurs. Bien que la pêche soit généralement considérée comme une activité masculine, au Kenya, les femmes jouent un rôle important dans ce secteur puisqu’elles représentent près de la moitié de la main-d'œuvre totale dans la filière de la pêche. Malgré leur forte implication dans la filière, des discriminations persistent en raison d'une éducation et d'une formation inadéquates, de normes culturelles et sociétales et d'un manque de financement, qui empêchent les femmes de participer pleinement aux opportunités économiques et à la prise de décision dans le secteur. C'est à ce niveau qu'Aquarech intervient, en aidant les petits aquaculteurs à s'adapter au changement climatique, tout en défendant activement l'intégration de la dimension de genre dans le secteur.
Aquarech vend aux pisciculteurs des aliments pour poissons de haute qualité et commercialise le produit de leur pêche auprès des restaurants et des revendeurs. L'entreprise forme également les agriculteurs aux bonnes pratiques piscicoles et aux mesures d'adaptation aux effets du changement climatique, notamment par l'utilisation d'aliments améliorés plus efficaces. Côté client, en fournissant aux agriculteurs des aliments pour poissons de qualité, elle améliore l'efficacité de l'alimentation des poissons et réduit les coûts de production globaux. En collectant et en vendant le poisson aux commerçants et aux restaurants, elle crée un marché fiable pour les agriculteurs, ce qui leur permet d'avoir des revenus stables qu'ils peuvent mieux gérer. L'entreprise possède également des magasins de distribution de poisson qui desservent directement les communautés à faibles revenus, améliorant ainsi leur accès à une alimentation de qualité, en l'occurrence le poisson. Aquarech dispose d'une plateforme en ligne, Aquarech farmer app, qui permet aux pêcheurs de négocier directement avec les acheteurs et garantit la transparence des prix. Les pêcheurs ont également la possibilité d'acheter des aliments pour poissons en passant leur commande sur la plateforme. En outre, la plateforme donne des prescriptions alimentaires précises, ce qui permet aux agriculteurs de s'adapter au changement climatique en surveillant et en contrôlant la température de l'eau. Cette fonction permet d'éviter la sous-alimentation ou la suralimentation, et donc d'augmenter la production de poissons.
En plus de ces initiatives, Aquarech assure la pérennité des pisciculteurs en leur proposant un financement par le crédit. L'accès au financement permet aux pisciculteurs d'augmenter leur production tout en s'adaptant au changement climatique et donc de créer des entreprises durables..
Défis et opportunités de l'intégration de la dimension de genre dans les entreprises
Si plusieurs entreprises d'Afrique de l'Est proposent des produits et des services agricoles adaptés au climat, ces derniers sont souvent peu adoptés et utilisés en raison du manque de capitaux et d'accès à des informations pertinentes et à jour. Ces produits et services ont un potentiel d'impact sur le genre souvent non exploité car l'entreprise ne met pas suffisamment l'accent sur l'intégration de la dimension de genre. Les parties prenantes, telles que les investisseurs, manquent de données pour valider le dossier d'investissement de ces entreprises et justifier leur impact sur l'émancipation économique des femmes et sur le développement bas carbone.
Il est difficile pour Alaska Tanzania de s'approvisionner auprès d'un plus grand nombre d'agricultrices, car celles-ci ont un accès limité au financement et à la formation sur les bonnes pratiques agricoles. Aquarech a du mal à mettre les agricultrices en contact avec les intrants et les bonnes pratiques agricoles, car la plupart de ses fournisseurs et de ses clients sont des hommes. Les femmes commerçantes font également face à des problèmes sociaux sous-jacents tels que le fait de devoir sécuriser leur accès au poisson par des relations sexuelles, ce qui les empêche d'avoir les mêmes chances que les hommes de gagner leur vie grâce au commerce du poisson.
Au terme d'une évaluation des besoins de ces deux entreprises, Intellecap a mis en évidence les possibilités d'intégration de la dimension de genre dans leurs activités. Outre l'amélioration des moyens de subsistance des membres de la communauté, Alaska Tanzania peut accroître l'approvisionnement auprès des agricultrices par le biais de l'agriculture contractuelle, en donnant accès aux femmes aux capitaux, aux marchés et à la formation agronomique. Pour les clientes d'Alaska Tanzanie, qui sont des micro-commerçantes ou des vendeuses de nourriture de rue (connues sous le nom de Mama Lishe), il est possible de développer leurs activités en les mettant en relation avec des partenaires financiers et en renforçant leurs capacités de gestion d'entreprise.
D'autre part, Aquarech peut améliorer l'accès des piscicultrices aux aliments pour poissons, ainsi que l'accès des commerçantes de poisson aux marchés, et réduire par conséquent leur vulnérabilité sexuelle. En outre, une meilleure utilisation de la plateforme numérique pourrait améliorer l'accès des piscicultrices aux intrants et aux services de conseil, et mettre en relation de manière transparente les négociants et les marchés.
Pendant les six premiers mois du programme, les entreprises bénéficieront d'une assistance au développement commercial ciblé sur les questions de genre. L'assistance comprend l'élaboration de propositions de valeur fondamentales par le biais d'un modèle d'entreprise, l'analyse du marché et des opportunités de commercialisation, les stratégies d'expansion (y compris la planification des activités, la croissance et l'efficacité opérationnelle), la gestion des équipes et des partenariats, la gestion financière, la levée de capitaux et la préparation des investisseurs. Intellecap travaillera avec chacune des entreprises pour développer un plan d'action sur le genre qui les guidera dans leurs efforts d'intégration de garantir l’égalité des sexes dans leurs activités.
En intégrant la dimension de genre et en incluant davantage de femmes parmi leurs clients et leurs fournisseurs, les entreprises auront un plus grand impact sur les femmes et pourront les aider à faire face au changement climatique. L'adoption d'un plan d'action en faveur de l'égalité des sexes par ces entreprises ne conduira pas seulement à l'autonomisation économique des femmes, mais également à la transition vers une économie bas carbone grâce aux techniques agricoles climato-intelligentes mises en place.