Des mains de confectionneuses de paniers qui peuvent changer la donne climatique

Shujel women

Kamal Bhandari, Srijana Baral et Kanchan Lama de ForestAction Népal décrivent comment la participation des femmes autochtones au projet a nettement amélioré leur bien-être Economic Empowerment of Women through Forest Solutions.

« Les générations futures n'auront plus à se préoccuper de trouver du bambou pour tresser des paniers. Nous sommes fières d'avoir créé une base de ressources durables pour les générations futures. »

C'est par ces mots que Manmaya Bhujel a répondu à l'équipe de ForestAction Nepal lors d'un récent interview.

Les 29 foyers de la communauté Bhujel (une caste au Népal) semblaient heureux, encouragés et confiants dans les impacts à long terme de leur plantation de bambous, à l'occasion de la « Journée nationale des plantations du Népal » 2022, lorsque nous les avons rencontrés sur les terres en jachère de leurs propriétés.  Le récit relate comment ils ont gagné en confiance et construit leurs rêves. 

L'histoire a commencé il y a plus d'un an, en novembre 2021, lorsqu'une petite équipe de ForestAction Népal s'est rendue dans le village sur l'invitation du groupe d'utilisateurs de la forêt communautaire (CFUG) de Deurali, de Dhodeni et du Ward Chairperson. Ils se sont rendus sur place dans le cadre du projet GLOW, financé par le CRDI et intitulé « Economic empowerment of women through forest solutions ».

Les Bhujels : une communauté d'immigrés

La communauté Bhujel vit dans la forêt depuis des décennies. Ils ne sont cependant pas encore membres du CFUG, car ils n'ont pas les moyens de payer les cotisations d’adhésion requises. Ils ne savent pas s'ils peuvent demander une subvention spéciale au CFUG. En outre, ils n'héritent pas de terres pour être éligibles à l'adhésion au CFUG.

Il y a longtemps, les Bhujels ont émigré du district voisin de Tanahu pour s’installer dans cette région. Un dirigeant politique les avait encouragés à émigrer en leur promettant des terres et des ressources. Mais finalement, il s'est montré égoïste et n'a pas tenu parole. Une fois qu'il eut satisfait ses intérêts politiques, il ne s'est plus occupé d'eux. La communauté Bhujel déplacée n'a pas pu retourner d'où elle venait, mais a continué à résider dans la forêt sans savoir clairement comment obtenir une identité civique. Et cette situation perdure jusqu'à aujourd'hui.

Dépendante des ressources forestières – mais sans droits clairement définis

La communauté dépend fortement de la forêt. Certains exploitants forestiers utilisent les hommes âgés et les jeunes comme main-d'œuvre bon marché pour la récolte et le transport du bois. Les femmes récoltent et vendent généralement des produits forestiers de moindre importance tels que les feuilles de Sal (Shorea robusta), les champignons, les pousses de bambou, les fougères saisonnières comestibles, d'autres légumes et herbes sauvages. Une partie est destinée à la consommation et l'autre est vendue au marché qui se trouve à une distance de deux heures de marche. En hiver, elles peuvent se rendre au marché en « tempo »(tricycle manuel) à trois roues.

Comme les membres de la communauté de Bhujel vivent en dessous du seuil de pauvreté et n'ont pas d'autres possibilités d'emplois, ils travaillent comme salariés dans les champs de la région. Les hommes gagnent 600 RN / jour (6,50 USD) et les femmes gagnent 500 RN / jour (4,00 USD) pour le même travail. L'idée reçue dominante dans la société est que les femmes ne sont pas capables d'accomplir un travail difficile comparable à celui des hommes.

Le CFUG les emploie occasionnellement pour entretenir la forêt en enlevant les feuilles sèches, en taillant et en élaguant les arbres. Trois mois par an, elles tressent des paniers (doko-daalo, faits de bambou) et des plateaux en bambou (nanglo, bambou de l'Himalaya).

Bien que dépendant des produits à base de bambou pour leur subsistance, les membres de la communauté n'ont pas un accord réglementaire d'accès aux bambous. Par conséquent, ils achètent le bambou au prix élevé de 250 RN (2 USD) pièce. De plus, ils doivent payer 2 000 RN (plus de 15 USD) par trajet en tracteur pour le transport des tiges de bambou depuis le site éloigné de la forêt gérée par la communauté jusqu'au village des Bhujels.

Les recherches montrent que les peuples autochtones tels que cette communauté sont souvent marginalisés par les processus de développement qui sont censés apporter des solutions durables en matière de moyens de subsistance et de bien-être. Dans le but de réformer ces pratiques, le projet Economic Empowerment of Women through Forest Solutions a pris des mesures sérieuses en réponse aux plaintes exprimées par cette communauté concernant ses moyens de subsistance.

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Bhujel women in the forest

La recherche-action suscite un nouveau processus de collaboration

Au début, l'équipe du projet a été déconcertée par des rumeurs populaires selon lesquelles « les femmes Bhujel sont alcooliques, elles vont ruiner le projet en buvant matin et soir, tandis que leurs hommes travaillent dur pour produire des paniers en bambou et gagner leur vie. Les jeunes du village sont des contrebandiers de bois, ils ne vont pas permettre aux étrangers d'entrer pour les activités du projet », etc.

L'équipe du projet a examiné avec empathie ces critiques et a décidé de vérifier si elles étaient fondées et quelle était la réelle situation de dénuement des Bhujels.

D'une part, ils ont eu une lueur d'espoir - un signal positif - lorsque le président du CFUG de Deurali et le président de quartier ont suggéré que le projet mette en œuvre des actions avec les Bhujels.  Puis, ils ont découvert que ce ne sont pas les Bhujels eux-mêmes, mais plutôt certains acteurs sociaux extérieurs qui créent les rumeurs. Ces acteurs externes craignent de subir des pertes, estimant que « si les Bhujels prennent conscience de leurs droits, ils risquent de perdre une main-d'œuvre bon marché qui leur permet de poursuivre leurs activités illégales d'exploitation forestière. »

Une évaluation préliminaire a permis à l'équipe du projet de considérer la communauté davantage comme un « groupe qualifié » possédant des compétences traditionnelles en matière de tissage du bambou, mais totalement dépourvu de ressources et de services liés à l'éducation, à la santé et aux moyens de subsistance. Bien que le Rotary Club de Gaindakot les ait aidés à construire de petites maisons équipées de toilettes et d'un système d'approvisionnement en eau potable, la communauté est loin d'être impliquée dans la prise de décision en matière de développement local. « Quelqu'un » décide tout pour eux, ils ne font que suivre les instructions.

Sous la domination des « autres », ils restent passifs et perdent leur créativité et leur confiance en eux. Ils se sentent marginalisés, frustrés et découragés. Certains ont même perdu l'espoir d'une vie meilleure. Comme l'a fait remarquer une femme : « Pouvez-vous nous apporter une solution rapide à notre vie difficile ? Combien de temps allons-nous continuer à tisser des bambous du matin au soir ? »

Une autre a fait remarquer : « Nous sommes prisonniers des prêts de la microfinance. Comment pouvons-nous nous libérer de nos emprunts ? » D'autres se sont exprimés en ces termes : « Pouvons-nous avoir un accès facilité aux forêts de bambous à proximité de notre village afin de pouvoir utiliser le bambou pour le tressage de paniers et de plateaux sans avoir à payer le prix fort pour l'achat de tiges de bambou ? »

L'équipe du projet a eu la brillante idée de se rapprocher de la communauté en tissant des liens avec elle. En plaçant les questions de santé reproductive des femmes au centre des préoccupations, l'équipe du projet a mis en place un « programme d'interaction sur le mode de vie ». Le programme s'étalait sur une journée et était financé par des philanthropes, avec la participation de la majorité des membres de la communauté. Un médecin naturopathe a réalisé un bilan de santé général basique et mené des échanges sur les questions de santé des femmes et sur les problèmes liés aux hommes et aux jeunes.  

Elle a vérifié l'état de santé des femmes et a administré un traitement de base à quelques femmes souffrant de prolapsus de l'utérus. Nous avons également fourni des informations sur la santé dentaire aux enfants qui ont volontiers utilisé les brosses à dents que nous leur avions fournies après leur goûter. Les jeunes hommes sont venus faire un bilan de santé basique. Nous avons été surpris de constater qu'un plus grand nombre d'hommes, jeunes et âgés, souffraient d'hypertension artérielle et de problèmes de glycémie. Les femmes par contre ne présentaient pas ces problèmes, mais plutôt des prolapsus utérins pour certaines d'entre elles.

À la suite de cet événement, une enquête d'évaluation des besoins des ménages a été menée pour une plantation de bambous à proximité de leur propriété, afin d'établir une base de ressources durables pour les tisseuses de bambous. Au total, 34 foyers ont fait une demande et 29 d'entre eux ont planté des rhizomes de bambou. Les autorités locales et le groupe de gestion forestière communautaire les ont encouragés en se joignant à la cérémonie de plantation de bambous.

Les rhizomes de bambou ont un taux de survie de 95 %. Au total, 17 femmes ont participé à la formation sur le développement de l'esprit d'entreprise et sur l'égalité des sexes et l'inclusion sociale (GESI) qui s'est tenue dans les locaux du CFUG de Deurali. Le choix entrepreneurial des femmes de Bhujel s'est principalement porté sur l'amélioration des produits en bambou. Plus tard, elles ont aussi sollicité une formation sur la production de gobelets et d'assiettes biodégradables (duna tapari).

Redéfinition de la dynamique de développement et perspectives d'avenir

Les femmes ont de nouveau des aspirations et des rêves. Aujourd'hui, lors de nos échanges avec les femmes Bhujels, elles nous font part avec fierté de ce qu'elles ont appris lors des formations et d'autres événements. Elles ont une grande confiance en elles et le sourire aux lèvres. Elles prévoient d'augmenter et de renforcer leur stock de bambou afin d'améliorer l'accès au bambou pour le tressage de paniers et de plateaux.

Le projet a adopté une approche féministe pour développer la conscience de soi chez les femmes. Cela a consisté, entre autres, à :

  • faire preuve d'empathie et les encourager à être chefs de file des actions entrepreneuriales tout au long de l'année,
  • leur permettre de s'organiser pour négocier avec les autorités locales, les autorités forestières, le comité CFUG et le secteur du marché afin de créer un accès durable aux ressources forestières et aux processus de commercialisation.

Le projet est maintenant à la croisée des chemins et doit se concentrer à renforcer le leadership des femmes Bhujel et à réfléchir à leur statut civique, à leur statut en matière de droits fonciers, à leurs droits aux ressources, à leurs rôles potentiels dans la gestion durable des forêts et dans l'atténuation des effets des catastrophes climatiques.

Le processus d'apprentissage par l'action du projet a commencé par des initiatives mixtes, notamment l'analyse des besoins spécifiques des femmes, des intérêts des femmes autochtones qualifiées, de l'attitude et des connaissances des femmes en matière de réduction des émissions polluantes. Des initiatives d'adaptation pour la résilience climatique ont également été mises en place en prenant soin des ressources forestières, en gérant une base de ressources forestières durables pour les moyens de subsistance et la santé de l'environnement.

Dream:

Cette modeste initiative peut-elle déboucher sur une forêt économiquement viable et un environnement sain ? 

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